Une vision particulière du Pays Noir, à la fois chaotique et poétique, qui laisse une grande place à la dignité humaine
Emile LAURENT est né à Dampremy le 22 novembre 1920.
Naïf? Expressionniste wallon ? Le domaine de l’art est, par excellence, celui des confluents… Si certains critères de libertés envers la perspective classique sont, comme le veulent certains, marque de naïvisme alors oui: cet autodidacte carolorégien est naïf. Mais le sujet, mais l’atmosphère, mais la vigueur de l’attaque picturale DRUE d‘Emile Laurent, le situent dans la lignée des grands chantres du Pays Noir: Constantin Meunier, Paulus — et donc dans cet expressionnisme wallon dont on découvrit voici peu qu‘il exista et existe toujours.
Une lignée, oui. Mais dans laquelle Laurent s’inscrit en un mode qui lui est spécifique. Le discours avant tout dramatique de Paulus n’a rien de particulièrement optimiste, et le propos de Meunier est de peintre-sculpteur, c’est-à-dire avant tout plastique.
Avec Emile Laurent s’introduit une autre dimension dans l’épopée de ce Pays Noir qui, maintenant, se meurt et dont l’agonie n‘a pas commencé hier mais bien avant-hier.
Et cette dimension est de paradoxe: si toute sa palette: des gris, des blancs, des jaunes sulfureux, des noirs, restitue sans les trahir la misère, l’abandon, la dureté d’une région dans laquelle il baigne depuis son enfance, il la magnifie, cette région, par l‘amour, par la chaleur humaine — non exempte parfois d’humour, cette chaleur si caractéristique, si présente dans le parler de ses habitants, dans leur façon de communiquer, de mettre leur cœur tout entier dans le propos le plus banal, et cette chaleur, Laurent réussit à la faire passer au travers de ses toiles. Que dis-je: au travers? Elle se situe plus exactement, au plein mitan de chacune d’elles, et s’irradie en direction de ses limites…
Il a eu, nous dit-il, une enfance, une adolescence de bonheur et de rêve… Autre paradoxe: son «Grand Meaulnes» à lui, il l’a vécu devant les charbonnages, le long des canaux, jouxtant les armatures de métal surmontant les puits éclairés là-bas par l’incendie des hauts-fourneaux — ou sur ces terrils où il montait volontiers et qui expliquent la perspective plongeante de ses toiles — leur sujet étant vu de surplomb.
Observez ses structures: il n’est pas dans ces tubulures, dans ces baraquements, dans ces tourelles, ces cheminées, ces enchevêtrements de rails parcourus de wagonnets, une seule erreur de détail (et ceci aussi, ce scrupule de l’exactitude, rapproche sa vision de la vision naïve). Mais ce qui n’est pas naïf, c’est l‘abord synthétique, vraiment plastique du rendu, de cette transmutation du sujet qui s’appelle une toile… Je crois que la peinture de Laurent aurait enchanté ce grand difficile qu’était Charles Counhaye qui, en une époque de sa vie, inspira son propos du même Pays Noir.
Peintre—ouvrier? Il n‘en fait pas étalage, mais c’est vérité: Emile Laurent, issu d’un père lamineur et d’une mère ouvrière de charbonnage, se forma à l’Université du Travail de Charleroi au métier d’ajusteur qu’il exerça longtemps avant de passer dans l‘enseignement technique…
Dans ce qu’il appelle «les Champs-Elysées du travail »: le sillon Fond de Dampremy – Fond Beguin Docherie, il a vécu de la vie des travailleurs, participant à leurs joies, leurs peines, et leurs luttes: les grèves de 1932, de 1936, la bataille pour les congés payés. C‘est un instituteur qui lui fait découvrir la peinture à travers Van Gogh, Monet, Soutine (dont on a à tort, rapproché sa vision bien plus optimiste). Le mouvement expressionniste l’emballe et il y trouve sa voie lorsqu’après la guerre il commence à peindre en «outsider» solitaire, obsédé par ce propos de Karl Max: « L’art est la plus grande joie que l’homme puisse se donner à lui-même. »
Alain Beciani en sa galerie, feu Ernest Degranges, Geneviève Rousseaux, Lucien Defoy, Michel N’Day en leurs écrits, lui apportent appuis et encouragements. ll expose, en ensembles, et puis seul. ll discipline au cours du temps, la spontanéité explosive de ses œuvres premières, acquérant cet équilibre dans le dynamisme qui personnalise son œuvre actuelle.
Je crois à sa place dans cet art wallon qui prend aujourd’hui conscience de sa spécificité: richesse dans la diversité.
Jacques COLLARD,
50 artistes de Belgique, Tome ll 1986.
Une vision particulière du Pays Noir, à la fois chaotique et poétique, qui laisse une grande place à la dignité humaine
Emile LAURENT est né à Dampremy le 22 novembre 1920.
Naïf? Expressionniste wallon ? Le domaine de l’art est, par excellence, celui des confluents… Si certains critères de libertés envers la perspective classique sont, comme le veulent certains, marque de naïvisme alors oui: cet autodidacte carolorégien est naïf. Mais le sujet, mais l’atmosphère, mais la vigueur de l’attaque picturale DRUE d‘Emile Laurent, le situent dans la lignée des grands chantres du Pays Noir: Constantin Meunier, Paulus — et donc dans cet expressionnisme wallon dont on découvrit voici peu qu‘il exista et existe toujours.
Une lignée, oui. Mais dans laquelle Laurent s’inscrit en un mode qui lui est spécifique. Le discours avant tout dramatique de Paulus n’a rien de particulièrement optimiste, et le propos de Meunier est de peintre-sculpteur, c’est-à-dire avant tout plastique.
Avec Emile Laurent s’introduit une autre dimension dans l’épopée de ce Pays Noir qui, maintenant, se meurt et dont l’agonie n‘a pas commencé hier mais bien avant-hier.
Et cette dimension est de paradoxe: si toute sa palette: des gris, des blancs, des jaunes sulfureux, des noirs, restitue sans les trahir la misère, l’abandon, la dureté d’une région dans laquelle il baigne depuis son enfance, il la magnifie, cette région, par l‘amour, par la chaleur humaine — non exempte parfois d’humour, cette chaleur si caractéristique, si présente dans le parler de ses habitants, dans leur façon de communiquer, de mettre leur cœur tout entier dans le propos le plus banal, et cette chaleur, Laurent réussit à la faire passer au travers de ses toiles. Que dis-je: au travers? Elle se situe plus exactement, au plein mitan de chacune d’elles, et s’irradie en direction de ses limites…
Il a eu, nous dit-il, une enfance, une adolescence de bonheur et de rêve… Autre paradoxe: son «Grand Meaulnes» à lui, il l’a vécu devant les charbonnages, le long des canaux, jouxtant les armatures de métal surmontant les puits éclairés là-bas par l’incendie des hauts-fourneaux — ou sur ces terrils où il montait volontiers et qui expliquent la perspective plongeante de ses toiles — leur sujet étant vu de surplomb.
Observez ses structures: il n’est pas dans ces tubulures, dans ces baraquements, dans ces tourelles, ces cheminées, ces enchevêtrements de rails parcourus de wagonnets, une seule erreur de détail (et ceci aussi, ce scrupule de l’exactitude, rapproche sa vision de la vision naïve). Mais ce qui n’est pas naïf, c’est l‘abord synthétique, vraiment plastique du rendu, de cette transmutation du sujet qui s’appelle une toile… Je crois que la peinture de Laurent aurait enchanté ce grand difficile qu’était Charles Counhaye qui, en une époque de sa vie, inspira son propos du même Pays Noir.
Peintre—ouvrier? Il n‘en fait pas étalage, mais c’est vérité: Emile Laurent, issu d’un père lamineur et d’une mère ouvrière de charbonnage, se forma à l’Université du Travail de Charleroi au métier d’ajusteur qu’il exerça longtemps avant de passer dans l‘enseignement technique…
Dans ce qu’il appelle «les Champs-Elysées du travail »: le sillon Fond de Dampremy – Fond Beguin Docherie, il a vécu de la vie des travailleurs, participant à leurs joies, leurs peines, et leurs luttes: les grèves de 1932, de 1936, la bataille pour les congés payés. C‘est un instituteur qui lui fait découvrir la peinture à travers Van Gogh, Monet, Soutine (dont on a à tort, rapproché sa vision bien plus optimiste). Le mouvement expressionniste l’emballe et il y trouve sa voie lorsqu’après la guerre il commence à peindre en «outsider» solitaire, obsédé par ce propos de Karl Max: « L’art est la plus grande joie que l’homme puisse se donner à lui-même. »
Alain Beciani en sa galerie, feu Ernest Degranges, Geneviève Rousseaux, Lucien Defoy, Michel N’Day en leurs écrits, lui apportent appuis et encouragements. ll expose, en ensembles, et puis seul. ll discipline au cours du temps, la spontanéité explosive de ses œuvres premières, acquérant cet équilibre dans le dynamisme qui personnalise son œuvre actuelle.
Je crois à sa place dans cet art wallon qui prend aujourd’hui conscience de sa spécificité: richesse dans la diversité.
Jacques COLLARD,
50 artistes de Belgique, Tome ll 1986.